What Killed the Karaoke Star

Durant l’ère du « miracle japonais », le karaoké était aussi routinier dans la vie du salarymen, que les innombrables heures sup’. Depuis les vingt dernières années cependant, le karaoké se meurt à petit feu, et on pourrait même affirmer qu’il est pratiquement éteint. Les causes de sa disparition ne sont peut-être pas si évidentes.

De ces débuts dans les années 60 jusqu’à la fin 90, l’industrie du karaoké connaissait une croissance exponentielle, suivant le PIB du Japon et la taille de son énorme classe ouvrière. En 2011, l’utilisation des lounges karaokés (en comptant chaque individu passant à la réception) au Japon est juste en dessous de 40 millions par an. Ça peut sembler encore beaucoup, mais c’est une diminution de 30 % depuis son sommet, avant que la bulle économique n’éclate en 1990. Du coup, les fabricants ont vu la même tendance dans leurs ventes1.

Une exception, Daiichi Kosho, le principal fabricant et opérateur de la chaîne Big Echo karaoké au Japon. Il a été en mesure de maintenir ses ventes totales légèrement à la hausse en offrant une gamme de produits innovateurs et en focalisant sur la diversification. Mais c’est en grande partie dû aux opérations à l’étranger, spécialement en Corée du Sud, où les salons de karaoké sont encore en plein essor.

Avant tout, il est important de faire les distinctions suivantes. Premièrement, il faut penser au karaoké comme autre chose qu’une boîte à musique avec un microphone. En dehors de l’Asie, et plus particulièrement en Amérique du Nord, il souffre d’une « déformation d’importation » sévère – du même genre que les « mets chinois – son essence étant distorsioné en quelque chose d’assez ringard. Et il est vrai que le karaoké, c’est ringard. Mais jusque dans les années 90, l’activité avait évolué en quelque chose de très sophistiqué au Japon.

Ce qui m’amène au deuxième point. Ma définition de karaoké n’a rien à voir avec ce qu’il est aujourd’hui. Le défunt karaoké, c’est l’authentique karaoké, celui du golden age, le vrai nomikai karaoke. En disant cela, je brûle le punch, mais lorsque j’ai publié cet article initialement sur Japan Today, les gens ont totalement passé à côté de l’angle (car en fait, ils ont arrêté de lire à partir d’ici pour commenter).

Mais je m’épivarde…

Après ses débuts, le karaoké a rapidement évolué hors des bars et clubs. Des centres multi-étages ont commencé à apparaître partout dans les grandes villes, offrant de confortables salons équipés avec les derniers appareils à la fine pointe – et le service de bar. Restaurants et hôtels de luxe adjoignirent de somptueux salons karaoké à leur concept.

Pendant la période de croissance rapide du Japon (entre 1970-1990), les réunions karaoké étaient la norme pour tout rassemblement social lié au travail. Des relations d’affaires de tout niveau étaient entretenues avec en arrière-plan la mélancolique musique enka ou l’électropop des derniers hits. C’était un endroit pour cultiver la relation kohai / senpai, et une activité obligatoire pour bâtir l’esprit d’équipe – ou plus exactement, l’esprit de l’ “office family”. C’était un instrument au service du besoin inné japonais pour la cohésion sociale. Plus qu’un simple loisir, le karaoké est une activité pleinement ancrée dans les complexités du work culture japonaise.

Certains employés étaient littéralement devenus des stars de karaoké au sein de leur entreprise. Non pas à cause de leurs compétences vocales (vraiment pas), mais pour la quantité d’efforts qu’ils mettaient à divertir leurs collègues. Être une star du karaoké était très exigeant. Constamment, ils étaient appelés à encourager la foule et mettre de l’ambiance, un devoir pour assurer la réussite du meeting, et une preuve de leur dévouement envers leur employeur.

Les néons pétants de centres karaoké égayent toujours le paysage urbain du Japon d’aujourd’hui. Mais leur jadis prestigieuse clientèle de la middle-class a déserté leurs salons capitonnés. En fait, son image est devenue tout à fait le contraire parmi la génération post-bulle, souvent désigné comme la génération de la décennie perdue – le groupe de malchanceux qui entrait dans le marché du travail après la crise des années 1990.

Lors d’une soirée avec un groupe d’amis (dont quelques-uns Japonais) à l’un des Big Echo de Tokyo, j’ai partagé mon observation sur le déclin apparent des salons de karaoké. “Nous voyons le karaoké comme kitsch, ou même une activité de looser”, me disait Kyoko, une office lady dans la trentaine. “La plupart de ces endroits sont horribles, avec les odeurs de cigarettes et de friture », a ajouté l’un de ses collègues. « Nous y allons encore, mais… ce n’est pas la première option, disons. Et parfois c’est parce qu’on a manqué le dernier train. Sinon… »
Elle fit une pause. J’en profitais pour compléter : «… vous y allez quand vous êtes avec des gaijin. »
Elle hocha la tête en riant.

C’est une triste réalité. Juste dans la dernière décennie, la plupart des centres de karaoké, malgré les efforts de leurs propriétaires, ont été transformés en shack à tabac pour salarymen jetés, ou de budget hotels pour les couples sordides. Les centres encore décents sont fréquentés surtout par des touristes ou des non-Japonais. Alors, pourquoi ce changement?

Depuis la fin des années 90, le Japon a connu un énorme changement sociologique : la disparition de sa classe moyenne et l’érosion des valeurs. Des hordes de salarymen et office lady qui consacrent leur vie à la compagnie n’est pas tant le portrait de la main-d’œuvre japonaise comme il l’a été.

Ainsi, la génération de la décennie perdue ne partage pas le même enthousiasme de leurs prédécesseurs vis-à-vis la vie – plutôt merdique il faut le reconnaître – de bureau. Tout d’abord, l’emploi à vie n’est plus qu’un souvenir. Le sentiment d’appartenance à leur entreprise – même s’ils ont un emploi le moindrement décent – est faible, voire inexistant.

Au bureau, ils n’ont tout simplement pas l’impression qu’ils font partie d’une famille. Certains aspects die-hard du code de conduite en milieu de travail japonais peuvent encore être observées, mais les réunions d’après-boulot sont tout simplement devenues une corvée ennuyeuse au mieux. Un salon de karaoké crade est le dernier endroit où ils veulent être, et n’y vont que par pure obligation. La mentalité de groupe laisse également place peu à peu à des comportements plus individualistes.

Le karaoké est une extension naturelle de ce work culture qui était si typiquement japonaise. En observant cela, nous pouvons affirmer qu’il est mort. Quant à l’industrie dans son ensemble, les chiffres montrent que, au Japon, il est en train de mourir. Dire que le karaoké disparaîtra complètement serait exagéré, mais ses meilleurs jours, cependant, sont loin derrière.

Time Has Killed the Karaoke Stars.

1- Sources statistiques : All-Japan Karaoke Industrialist Association et Japan Productivity Center

Image : LuckyVoice.com

Carl T. Slater

Carl est un gaijin banlieusard paumé vivant à Funabashi, pas trop loin de Tokyo. Il n'a d'autre chose à offrir que des observations biaisées sur les trois dragons d'Asie, tout en essayant de ne pas trop faire honte à sa femme.

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